Читать книгу Bel-Ami / Милый друг онлайн

Montelin répondit avec naïveté: «Je viens de payer les seize mille francs que nous devions au marchand de papier.»

Le patron fit un bond, un bond étonnant.

– Vous dites?

– Que je viens de payer M. Privas.

– Mais vous êtes fou!

– Pourquoi?

– Pourquoi… pourquoi… pourquoi…

Il ôta ses lunettes, les essuya. Puis il sourit, d'un drôle de sourire qui court autour de ses grosses joues chaque fois qu'il va dire quelque chose de malin ou de fort, et avec un ton gouailleur et convaincu, il prononça: «Pourquoi? Parce que nous pouvions obtenir là-dessus une réduction de quatre à cinq mille francs.»

Montelin, étonné, reprit: «Mais, monsieur le directeur, tous les comptes étaient réguliers, vérifiés par moi et approuvés par vous…»

Alors le patron, redevenu sérieux, déclara: «On n'est pas naïf comme vous. Sachez, monsieur Montelin, qu'il faut toujours accumuler ses dettes pour transiger.»

Et Saint-Potin ajouta, avec un hochement de tête de connaisseur:

– Hein? Est-il à la Balzac, celui-là?

Duroy n'avait pas lu Balzac, mais il répondit avec conviction:

– Bigre, oui.

Puis le reporter parla de Mme Walter, une grande dinde, de Norbert de Varenne, un vieux raté, de Rival, une ressucée de Fervacques. Puis il en vint à Forestier:

– Quant à celui-là, il a de la chance d'avoir épousé sa femme, voilà tout.

Duroy demanda:

– Qu'est-ce au juste que sa femme?

Saint-Potin se frotta les mains:

– Oh! une rouée, une fine mouche. C'est la maîtresse d'un vieux viveur nommé Vaudrec, le comte de Vaudrec, qui l'a dotée et mariée…

Duroy sentit brusquement une sensation de froid, une sorte de crispation nerveuse, un besoin d'injurier et de gifler ce bavard. Mais il l'interrompit simplement pour lui demander:

– C'est votre nom, Saint-Potin?

L'autre répondit avec simplicité:

– Non, je m'appelle Thomas. C'est au journal qu'on m'a surnommé Saint-Potin.

Et Duroy, payant les consommations, reprit:

– Mais il me semble qu'il est tard et que nous avons deux nobles seigneurs à visiter.

Saint-Potin se mit à rire:

– Vous êtes encore naïf, vous! Alors vous croyez comme ça que je vais aller demander à ce Chinois et à cet Indien ce qu'ils pensent de l'Angleterre? Comme si je ne le savais pas mieux qu'eux, ce qu'ils doivent penser pour les lecteurs de la Vie Française. J'en ai déjà interviewé cinq cents de ces Chinois, Persans, Hindous, Chiliens, Japonais et autres. Ils répondent tous la même chose, d'après moi. Je n'ai qu'à reprendre mon article sur le dernier venu et à le copier mot pour mot. Ce qui change, par exemple, c'est leur tête, leur nom, leurs titres, leur âge, leur suite. Oh! là-dessus, il ne faut pas d'erreur, parce que je serais relevé raide par le Figaro ou le Gaulois. Mais sur ce sujet le concierge de l'hôtel Bristol et celui du Continental m'auront renseigné en cinq minutes. Nous irons à pied jusque-là en fumant un cigare. Total: cent sous de voiture à réclamer au journal. Voilà, mon cher, comment on s'y prend quand on est pratique.